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Les Kurdes ont perdu la chance de décider de leur destin : seul Damas peut les sauver - 25 juin 2018

Publié le par Samir Svet

Les Kurdes ont perdu la chance de décider de leur destin : seul Damas peut les sauver
Les Kurdes ont perdu la chance de décider de leur destin : seul Damas peut les sauver

Par Elijah J. Magnier

La décision de Donald Trump de se retirer de Syrie « très prochainement » et de livrer la ville de Manbij à la Turquie a été un choc pour les Kurdes syriens rassemblés dans le nord du pays. Ces Kurdes, qui servent quotidiennement de bouclier aux forces étatsuniennes, ont été délibérément manipulés par l’establishment étatsunien pour couvrir et protéger ses forces d’occupation dans le nord-est du Levant. Trump est apparemment prêt à larguer les Kurdes du jour au lendemain. Non content de cela, Trump met maintenant les Kurdes « aux enchères », en pariant sur le pays arabe qui occupera la zone sous contrôle kurde et disposera du territoire sur lequel ils sont actuellement basés.

Alors, quelles sont les options des Kurdes ?

Le président étatsunien n’attache clairement aucune importance au sort des Kurdes. Il est prêt à les abandonner, bien qu’il sache qu’ils n’ont pas d’autre endroit où aller ou de protection qu’ils peuvent chercher. Les Kurdes ont perdu la confiance du gouvernement de Damas à cause de leurs choix politiques et militaires imprudents – et bien sûr, ils sont pourchassés par la Turquie qui considère tous les Kurdes de Syrie comme faisant partie des Unités de protection du peuple kurde (YPG), un groupe affilié au terrorisme selon les normes d’Ankara.

Les « mythes » autour des Kurdes (« ce sont les meilleurs combattants contre l' »État islamique » [EI], ou « les Kurdes sont les meilleurs alliés des États-Unis ») sont incorrects. Cette rhétorique émane principalement des années 90, lorsque les États-Unis ont utilisé le Kurdistan pour s’établir en Irak à l’époque de Saddam Hussein. En fait, les Etats-Unis ont vu chez les Kurdes un pont vers le Moyen-Orient permettant l’établissement d’un bastion militaire et de renseignement pour eux-mêmes et leurs alliés israéliens. Avec la guerre imposée à la Syrie, les Etats-Unis ont débarqué dans la zone kurde syrienne d’al-Hasaka avec l’espoir de diviser la Mésopotamie et le Levant. De plus, les Kurdes d’Irak et de Syrie n’ont aucun problème à affirmer ouvertement leurs liens étroits avec Israël malgré l’animosité de l’État dans lequel ils vivent : Irak et Syrie.

L’armée syrienne et ses alliés ont lutté contre l’EI sur l’ensemble du territoire syrien, perdant des dizaines de milliers d’officiers et de soldats. Et en Irak, les forces de sécurité irakiennes se sont battues contre l’EI sur toute la géographie irakienne où l’EI était présent et ont perdu des milliers d’officiers et de soldats (Hashd al-Sha’bi seul a perdu plus de 11 000 militants).

En revanche, les investissements et les pertes de vies kurdes ont été plus limités. En Irak, alors qu’ils combattaient I’EI dans la zone kurde au nord, les Kurdes ont perdu environ 2000 militants. Et en Syrie, lorsque les Kurdes se sont battus contre l’EI, leurs pertes en militants se comptaient par centaines.

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Les Etats-Unis ont joué sur une vision kurde : les Kurdes de Syrie et d’Irak voulaient établir un Etat. Washington a nourri ce rêve avec son propre besoin d’avoir des forces locales comme supplétives pour établir des bases dans les zones où l’Iran a ses centres d’influence (en Irak et en Syrie). Le plan kurde a échoué en Irak en raison de la volonté déterminée du gouvernement central irakien d’empêcher la partition du pays. En Syrie, elle n’avait, et n’a, aucune chance de réussir parce que la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie ont tous leurs propres raisons d’empêcher soit un Etat kurde, soit une occupation étatsunienne de la partie nord du Levant.

On ne s’attend pas à ce que les Etats-Unis partent sans exiger un prix en échange de leur retrait ou un prix encore plus élevé si leurs forces restent. Trump s’est détourné de sa décision de récupérer ses forces en Syrie « bientôt » sans donner un calendrier précis concernant leur séjour. Il a ensuite demandé à d’autres pays de remplacer ses forces, sans tenir compte des Kurdes ou de les déplacer. C’est, en effet, le moindre de ses soucis : cela représente aussi des dépenses qu’il ne veut pas entreprendre. Les Etatsuniens, en effet, n’ont investi aucune somme, même dans la reconstruction de la ville de Raqqa qu’ils ont détruite pour déloger et relocaliser l’EI.

Quelle que soit la décision (maintien des forces étatsuniennes ou retrait de la Syrie), les Kurdes syriens ont perdu la possibilité de décider de leur sort, en grande partie à cause de leurs décisions répétées de se cacher dans les jupons étatsuniens.

Dans l’enclave d’Afrin au nord-ouest de la Syrie, l’administration kurde a refusé de remettre la région sous le contrôle du gouvernement syrien. Les Kurdes ont décidé de lutter contre leur ennemi le plus féroce, la Turquie, pendant deux mois, perdant toute la région et créant des centaines de milliers de réfugiés qui ont fui vers al-Hasaka et Deir-Ezzor. L’administration d’Afrin pensait que le monde se précipiterait pour les soutenir et empêcher l’action militaire de la Turquie : c’était leur plus grande erreur. En fait, seul le président Bachar al-Assad a envoyé 900 hommes des Forces de défense nationale (FDN) pour aider la résistance à Afrin, mais n’a pas réussi à convaincre l’administration locale de permettre à l’armée syrienne de prendre le contrôle de l’enclave avant qu’il ne soit trop tard. Les Etats-Unis préfèrent voir les soldats d’Ankara (l’ennemi le plus féroce des Kurdes) contrôler Afrin plutôt que Damas.

Les Kurdes semblent ignorer qu’ils ne sont plus le « fils prodigue » de l’Occident. Ils ont choisi de ne pas tenir compte de l’erreur commise par les Kurdes irakiens lorsqu’ils ont décidé d’aller de l’avant avec leur référendum et n’ont pas réussi de façon spectaculaire à atteindre un État indépendant. Et les États-Unis sont probablement heureux de voir plus de Kurdes d’Afrin affluer dans al-Hasaka, le peuplant avec plus de supplétifs étatsuniens au profit des objectifs de Washington au Moyen-Orient.

On sait que les Kurdes ont perdu des centaines de militants en combattant l’EI pour récupérer Manbij, Raqqa et d’autres villages d’al-Hasaka et de Deir-ezzor. Ils se sont battus pour soutenir l’occupation étatsunienne du nord-est de la Syrie, offrant à Washington une excuse pour s’accrocher aux territoires syriens, prétendant que leur présence était liée à la « guerre contre le terrorisme ». Non seulement les Etats-Unis ne sont pas intervenus à Afrin, mais Washington a demandé aux forces kurdes du YPG de quitter Manbij au profit de son allié de l’OTAN, la Turquie.

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Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu a déclaré, à la suite de sa rencontre avec son homologue étatsunien Mike Pompeo, que « les Etats-Unis et la Turquie vont commencer à contrôler la ville de Manbij ». Les tribus arabes locales al-Bubna, al-Baqqarah et al-Tayy ont publié des communiqués » accueillant les forces turques à Manbij, qui mettront fin à l’occupation de la ville par le PYD et le PKK ».

Il est clair que les Kurdes ont volontairement accepté d’être manipulés par l’establishment étatsunien dans l’espoir de ramasser les miettes laissées par les forces étatsuniennes, et peut-être de concrétiser leur rêve d’indépendance. Cela semble très loin de devenir une réalité, du moins dans les prochaines décennies.

Les Kurdes ont en effet été surpris de voir Donald Trump déclarer un retrait rapide de la Syrie, se rendant compte soudainement qu’ils étaient abandonnés du jour au lendemain. Il était difficile pour les Kurdes de voir l’establishment étatsunien tourner le dos et agir selon ses propres intérêts nationaux sans tenir compte de ce qui pourrait se produire après leur retrait, ignorant les sacrifices que les Kurdes avaient faits pour aider à atteindre les objectifs étatsuniens en Syrie.

Lorsque Trump a accepté de garder les forces étatsuniennes « un peu plus longtemps », cette décision a donné une injection d’espoir temporaire – mais fausse – aux Kurdes, pensant que leur destin était reporté. Mais pour combien de temps ? Seulement jusqu’à ce que les Etats-Unis retirent toutes leurs forces ou sont forcés de se retirer sous les attaques de la « Résistance syrienne » qui commence à se renforcer dans la zone occupée par les Etats-Unis en Syrie.

La résistance nouvellement annoncée semble appartenir à des tribus locales, principalement les « Bakkara » et les « al-Assasneh », ainsi qu’à d’autres groupes locaux prêts à se dresser contre les forces étatsuniennes, ramenant le souvenir de la manière dont l’insurrection a commencé contre les forces étatsuniennes à Bagdad en 2003.

Ce que les Kurdes syriens ne parviennent certainement pas à reconnaître ou même à réaliser, c’est que Trump ne fera pas d’efforts pour les protéger et qu’il ne mettra pas non plus sa flotte aérienne à la disposition des Kurdes pour les transporter vers les Etats-Unis lorsque le moment sera venu de quitter la Syrie. Le résultat est prévisible : lorsqu’une guerre prend fin, personne ne veut des supplétifs. Ils deviennent un fardeau trop lourd.

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En outre, les États-Unis n’ont pas l’intention d’éradiquer l’EI parce que ce groupe légitime leur présence en Syrie. L’EI fournit une excuse pour que Washington garde ses forces dans le Levant. Il contribue également aux objectifs des Etats-Unis lorsque ses militants attaquent la seule route disponible entre la Syrie et l’Irak, la route Albu Kamal – Al Qaem. Et enfin,celal donne quelques indications – quoique quelque peu faibles – que la Syrie est encore instable.

Les Etats-Unis ne lâcheront pas la Turquie, conscients que la Russie et l’Iran attendent de recevoir Ankara à bras ouverts. Pour garder la Turquie de son côté, Washington a offert à la Turquie le contrôle kurde de Manbij sur un plateau d’argent. De plus, les Etats-Unis sont conscients que la Turquie n’acceptera jamais un Etat kurde à sa frontière avec la Syrie. Ce n’est donc qu’une question de temps avant que les Kurdes réalisent qu’ils ont été trahis et que leur sort a été scellé.

Les Kurdes ont été à un moment donné considérés comme des traîtres par le gouvernement central de Damas : ils continueront à être considérés comme tels à moins qu’ils n’abandonnent leur rôle de bouclier pour les Etats-Unis. Le président Assad a ouvert la porte à la négociation directe et les Kurdes ont dit qu’ils étaient « prêts à négocier ». Le prix que les Kurdes doivent payer n’est pas compliqué : ils doivent cesser de protéger les forces d’occupation (Etats-Unis, France et Royaume-Uni) dans le nord de la Syrie.

Les Kurdes ont permis à la Turquie d’entrer sur le territoire syrien pour occuper Afrin plutôt que de se tourner vers l’État qui les a accueillis lorsqu’ils ont débarqué dans le Levant. Les Kurdes ont disposé d’un territoire, mais il ne leur appartient pas. Il appartient à l’État syrien et les Kurdes doivent se réveiller.

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Alors, que faire avec les Kurdes ? Qui reste à leurs côtés ?

Trump a toujours été prêt à laisser les Kurdes derrière lui, mais il a reporté sa décision parce que c’est à l’avantage d’Israël – et non des Etats-Unis – de maintenir l’occupation étatsunienne du nord de la Syrie. De plus, Trump voulait de l’argent de l’Arabie Saoudite et des Emirats. Il transforme ainsi l’armée étatsunienne en mercenaires et en « armes à vendre ». Les Émirats et l’Arabie saoudite – selon les médias – ont tous deux offert 400 millions de dollars, mais Trump a demandé 4 milliards de dollars pour garder ses soldats sur le terrain. Il semble que les forces étatsuniennes soient devenues la poule aux oeufs d’or par les pays riches du Moyen-Orient. Et dans ce fourre-tout, les Kurdes n’ont pas de place du tout.

L’équation est très simple : si les forces  étatsuniennes restent et occupent le nord-est de la Syrie, Washington doit investir dans la reconstruction de l’infrastructure, ce qui signifie dépenser de l’argent réel. Cela ne correspond pas aux objectifs de Trump de collecter plutôt que d’investir ne serait-ce qu’un dollar. C’est ce que les Kurdes n’ont pas réalisé et qu’ils ne semblent toujours pas avoir compris.

En conclusion, les Kurdes n’ont pas de place spéciale sous les ailes des Etats-Unis. Ils ne sont plus seuls au Moyen-Orient avec des liens avec Israël. Bahreïn, l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis ne cachent plus l’échange de visites avec les responsables israéliens et parlent ouvertement en faveur d’une relation avec Tel Aviv.

Les Kurdes n’ont peut-être qu’une seule possibilité : s’adresser au gouvernement central à Damas pour une médiation, cesser de protéger une force d’occupation et comprendre qu’ils sont de la chair à canon au profit des relations étatsuno-turques. Les Kurdes doivent dire très clairement qu’ils ne veulent pas servir de bouclier à l’objectif étatsunien de diviser la Syrie. Tous les positionnements récents des Kurdes rend cela extrêmement improbable. Mais c’est la seule façon d’aller de l’avant pour eux, s’ils sont capables de l’accepter. Ils peuvent alors gagner une réintégration complète dans l’État qui les a accueillis lorsqu’ils sont arrivés dans le Levant il y a 100 ans.

EJ Magnier

Article originel : The Kurds Have Lost the Chance to Decide their Fate: Only Damascus Can Save Them

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