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Sergueï Lavrov : Si l’Occident veut la paix, qu’il cesse de faire la guerre - 04 mai 2018

Publié le par Samir Svet

Sergueï Lavrov : Si l’Occident veut la paix, qu’il cesse de faire la guerre
Sergueï Lavrov : Si l’Occident veut la paix, qu’il cesse de faire la guerre

Interview du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov au magazine italien Panorama, publiée le 3 mai 2018

Transcription :

Question: Un conflit armé réel entre la Russie et certains pays occidentaux est-il vraiment possible?

Sergueï Lavrov: Il est évident que la situation dans le monde est malheureusement de plus en plus tendue et imprévisible. Comme nous l’avons plus d’une fois souligné, cela est lié avant tout aux actions unilatérales incessantes des États-Unis et de certains pays occidentaux mis au pas par Washington. Il s’agit d’un petit groupe d’États qui ne représentent pas une part significative de l’humanité mais tentent de conserver leur domination médiévale dans les affaires internationales et de freiner le processus objectif de formation d’un système polycentrique de relations internationales.

Ils accentuent la confrontation, créent une atmosphère de méfiance et d’incertitude stratégique, gèlent les canaux de dialogue. Ils créent des situations où le prix d’un bluff ou d’une erreur pourrait devenir global.

La Russie voudrait pouvoir compter sur le bon sens « de l’autre côté ». Car malgré toutes les divergences de positions, nous portons la responsabilité commune de l’avenir et du bien-être de toute l’humanité, de la résolution efficace de tous les problèmes-clés du monde contemporain.

Ce « bon sens » induit cependant la capacité des leaders de l’Occident collectif d’agir de manière responsable et prévisible, de respecter infailliblement le droit international et s’appuyant sur la Charte de l’Onu. Cette capacité suscite de plus en plus de doutes chez nous ces derniers temps.

Question: Quels leaders des pays occidentaux sont considérés par la Russie comme les pires partenaires?

Sergueï Lavrov: La diplomatie russe n’interprète pas la situation sur l’arène internationale selon des critères de ce genre. La philosophie de notre politique étrangère rejette l’analyse des relations bilatérales à travers le prisme de la négation.

Nous sommes prêts à mener un travail rigoureux avec tout le monde afin de renforcer la sécurité et la stabilité au niveau international et régional, et à promouvoir un agenda bilatéral positif.

Il est évidemment difficile de travailler avec certains pays, notamment avec ceux qui nient la suprématie du droit international et préfèrent le chantage, les menaces et les provocations. Cela ne fait que multiplier les problèmes des relations interétatiques et réduire l’espace de coopération constructive.

La vie internationale est une « rue à double sens ». Toute « rue à sens unique » n’a aucune perspective dans les relations avec la Russie. Nous espérons que les autres acteurs en tiendront compte tôt ou tard. Cela concerne avant tout les États-Unis.

Question: Que pensez-vous des incidents chimiques de Douma (Syrie) et de Salisbury?

Sergueï Lavrov: En ce qui concerne Douma, l’attaque chimique présumée du 7 avril n’a pas eu lieu en réalité. Il s’agit d’une nouvelle vile provocation montée par des personnes qui n’ont aucun intérêt à établir la paix en Syrie.

Nous n’appelons personne à nous croire sur parole. C’est pourquoi nous proposons depuis le début que l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques mène une enquête. Des experts nationaux américains ou français auraient pu y prendre part.

Au lieu de cela, au moment où un groupe de l’OIAC se trouvait déjà à Beyrouth et était prêt à se rendre à Damas et à Douma, on a lancé un acte d’agression contre la Syrie, pays souverain et membre de l’Onu.

Nous ne pouvons pas accepter la logique de ceux qui présentent une punition arbitraire comme la meilleure preuve de culpabilité. C’est un non-sens. Il faut également souligner l’absurdité des accusations précédentes affirmant que les militaires russes auraient retardé le déplacement des experts pour « nettoyer les lieux ». N’importe quel expert peut confirmer qu’il est impossible d’éliminer tous les traces d’une attaque chimique dans une zone détruite: ces substances s’introduisent en profondeur du sol et dans les murs.

Les experts de l’OIAC sont enfin arrivés à Douma le 21 avril. Ils ont recueilli les échantillons nécessaires. Ils se sont encore une fois rendus dans cette ville le 25 avril. Nous espérons que ces voyages se solderont par une enquête objective et indépendante, et qu’ils prévoieront notamment la visite de tous les sites relatifs aux annonces de l’attaque chimique et à la production de substances toxiques par les extrémistes. De notre côté, nous avons accordé aux experts tout le soutien possible.

Nous avons trouvé des témoins de la provocation et des participants involontaires à la mise en scène des Casques blancs: il s’agit du garçon Hassan Diab et d’autres habitants de Douma. Le 26 avril au siège de l’OIAC, ces derniers ont parlé du tournage de cette vidéo truquée de l’attaque chimique.

Le 4 mars, on a constaté sur le territoire britannique l’incident tragique qui a touché Sergueï et Ioulia Skripal. Londres insiste sur l’utilisation d’une substance neurotoxique de combat. Depuis l’incident, les Britanniques refusent – je voudrais souligner qu’ils violent ainsi leurs engagements internationaux – de nous accorder les informations nécessaires sur l’aide aux victimes et les progrès de l’enquête, nous privent de l’accès consulaire pourtant indispensable s’il s’agit de citoyens russes.

Qui plus est, Londres a fait fi non seulement des normes du droit international mais aussi de l’éthique élémentaire et du bon sens. Au lieu de présenter des preuves et d’attendre que l’enquête de Scotland Yard ait abouti, d’élucider la situation, le gouvernement britannique a accusé la Russie et a lancé une campagne politique et d’information antirusse de grande envergure. Il a en même temps ignoré nos propositions de mener une enquête commune et nos demandes légitimes de nous présenter les faits, y compris en nous transmettant des échantillons de la substance utilisée.

Le comportement des autorités britanniques suscite beaucoup de questions. On ne dit par exemple rien des activités du laboratoire secret de Porton Down qui se trouve à proximité de Salisbury. Les victimes ont été cachées par les services secrets britanniques.

La Russie est surtout préoccupée par l’état de santé et la situation des Skripal touchés par cette provocation des Britanniques. Le refus des autorités britanniques de nous accorder un accès consulaire permet de considérer cette situation comme un kidnapping ou une détention préméditée. C’est absolument inacceptable.

Londres remplace le travail professionnel des experts dans le cadre des mécanismes internationaux appropriés par des propos vides et la diplomatie du mégaphone.

Encore une fois, nous sommes prêts à une coopération concrète avec les Britanniques. Nous appelons Londres à coopérer de manière honnête dans le cadre de l’enquête lancée le 16 mars par le Comité d’enquête de Russie concernant la tentative d’assassinat, et des demandes appropriées envoyées au Royaume-Uni par le Parquet général russe.

Question: Peut-on dire que la guerre contre l’Ukraine a constitué une sorte de péché originel, la raison de tous les problèmes qui ont suivi?

Sergueï Lavrov: Tout d’abord, je voudrais attirer l’attention sur un fait qui est indispensable pour comprendre la situation: la Russie ne mène en aucune manière une guerre contre l’Ukraine. Cette guerre contre le peuple a été lancée par les nationalistes arrivés au pouvoir suite au coup d’État de février 2014. Ils n’acceptent aucune dissidence et veulent établir leur « ordre » par la force. Il s’agit d’une guerre entre Kiev et les régions ukrainiennes.

Cette crise politique intérieure a été provoquée en Ukraine par un groupe d’États occidentaux menés par les États-Unis, qui considèrent le monde entier comme leur sphère d’influence, prétendent à l’exceptionnalité et divisent les peuples entre « les leurs » et « les autres ».

Il faut noter que les membres de l’UE – l’Allemagne, la Pologne et la France – qui ont paraphé en février 2014 l’accord sur le règlement de la crise entre le gouvernement et l’opposition, ont immédiatement renoncé à leurs garanties données à ce texte après que les radicaux ont bafoué ce dernier. Quant à l’Otan, elle avait appelé le président ukrainien à ne pas utiliser l’armée contre les manifestants avant le coup d’État, mais a ensuite rapidement changé d’avis et a appelé les putschistes qui avaient illégalement pris le pouvoir à recourir à la force de manière « proportionnée » contre les régions dissidentes.

Sur cette question, la politique occidentale n’est en rien pro-ukrainienne mais absolument antirusse. Nous constatons que les États-Unis et certains de leurs satellites ont utilisé les propos sur la création d’un espace uni de paix, de sécurité et de stabilité dans la région euro-atlantique comme un écran, un paravent pour la poursuite de la pratique archaïque de conquête de l’espace géopolitique et de déplacement des lignes de partage à l’est, via l’élargissement de l’OTAN ou dans le cadre de la mise en œuvre du Partenariat oriental de l’UE. On a tenté pendant des années de forcer Kiev à faire un faux choix du type « avec nous ou contre nous », entre le développement de la coopération à l’est ou à l’ouest, ce qui s’est soldé au final par l’effondrement de l’État ukrainien qui n’a jamais été très solide. Le bilan est aujourd’hui évident: une perte effective d’indépendance, des souffrances humaines et l’écroulement de l’économie du pays qui aurait eu toutes les chances de devenir l’un des plus stables et des plus forts en Europe du point de vue économique.

Le règlement stable de la situation en Ukraine ne sera possible que par la mise en œuvre complète et cohérente des accords de Minsk. Il n’existe aucune alternative à ce travail. Il faut adopter des lois sur le statut spécial du Donbass, sur l’organisation des élections locales et sur l’amnistie, mener une réforme constitutionnelle. Ce sont les aspects-clés de l’établissement de la paix en Ukraine. Il est enfin nécessaire que Kiev établisse un dialogue direct avec Donetsk et Lougansk afin de rechercher conjointement des compromis et de concerter des solutions possibles aux problèmes existants.

Malheureusement, Washington, Londres et certaines autres capitales occidentales n’ont pas tiré les conclusions nécessaires de la tragédie ukrainienne. Nous constatons la poursuite des jeux géopolitiques antagonistes douteux dans différentes régions du monde. Il s’agit du renforcement des efforts visant à déployer le système antimissile global torpillant la stabilité stratégique, de la hausse du potentiel de l’Otan et des activités militaires de l’Alliance en Europe qui ne sont pas proportionnelles aux réalités actuelles et suscitent la fragmentation de l’espace européen de sécurité. Nous sommes surtout préoccupés par le mépris ouvert des États-Unis et de leurs alliés envers le droit international et la Charte de l’Onu, ainsi que par leur ingérence dans les affaires intérieures d’autres États allant jusqu’au renversement des gouvernements.

Cette politique destructrice a été incarnée de manière éloquente par les frappes contre le territoire syrien lancées le 14 avril sous un prétexte absolument fallacieux. Cette agression contre un État souverain a influé de manière négative sur la stabilité internationale et régionale, et a fait le jeu des terroristes. Les initiateurs des actions de ce genre doivent enfin comprendre que ce comportement irresponsable est lourd de conséquences très sérieuses pour la sécurité globale. Ceux qui jouent actuellement avec le feu dans différentes régions du monde et tentent d’apprivoiser les terroristes pour les utiliser ensuite dans leurs jeux géopolitiques devront demain en payer le prix chez eux. On ne peut pas se protéger contre la menace qu’est le terrorisme sur des « îlots de sécurité » destinés aux élites.

Question: Les dernières élections italiennes ont montré qu’un « vent de populisme soufflait en Europe ». Pourrait-il, selon vous, aider la Russie? Ou pensez-vous que l’Europe crée actuellement une image d’ennemi aux frais de la Russie lointaine afin de résoudre ses problèmes intérieurs liés au populisme et à la crise économique?

Sergueï Lavrov: En ce qui concerne les tendances politiques actuelles en Europe, il vaut mieux poser cette question aux Européens.

Pour ma part, je voudrais tout simplement souligner que nous ne nous ingérons pas dans les débats intérieurs des autres États et n’affichons pas nos préférences concernant les résultats des élections dans différents pays de l’UE. Nous souhaitons sincèrement aux pays européens de surmonter les problèmes existants. Nous sommes prêts à coopérer avec tous les représentants politiques qui afficheraient le même intérêt et voudraient développer un dialogue pragmatique avec la Russie.

Malheureusement, force est de constater qu’il existe au sein de l’Union européenne un groupe peu nombreux mais très agressif de pays russophobes qui font tout leur possible pour prévenir le rétablissement du développement cohérent des relations entre la Russie et l’UE et jouent la carte antirusse pour accomplir leurs objectifs personnels. Cette politique ne favorise en aucune façon l’assainissement de la situation sur notre contient commun et empêche la conjonction des efforts visant à trouver une solution efficace aux problèmes communs de la Russie et de l’UE.

Nous espérons que nos partenaires européens seront en mesure de surmonter « l’inertie de la pensée » et de définir eux-mêmes leurs priorités sans s’orienter vers des acteurs extrarégionaux ni se laisser guider par la minorité russophobe susmentionnée. Nous sommes convaincus que la plupart des Européens veulent vivre dans une Europe paisible et prospère et ne souhaitent pas revenir à la confrontation de l’époque de la Guerre froide vers laquelle on tente obstinément de les pousser.

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