Qui dirige vraiment l’Arabie saoudite

Publié le par Samir Svet

Qui dirige vraiment l’Arabie saoudite ? - not1 | 5 février 2016
Ils s’appellent tous les deux Mohammed. L’un est le fils du roi Salmane, l’autre son neveu. Il leur a confié la majorité du pouvoir, dans un Etat où la charia fait office de loi. Entretien avec le chercheur Stéphane Lacroix.
Spécialiste de l’Arabie saoudite, Stéphane Lacroix est professeur associé à l’Ecole d’Affaires internationales de Sciences-Po (PSIA) et chercheur au Centre de Recherches internationales (Ceri).
Qui dirige l’Arabie saoudite ?
– Une famille, les Saoud, possède la quasi-totalité du pouvoir. C’est d’ailleurs le seul Etat au monde qui porte le nom d’une famille. On est plus proche d’une logique patrimoniale que d’un Etat moderne. Il y a des institutions, mais elles reposent essentiellement sur des liens personnels et des fiefs.
D’autre part, l’Etat saoudien est fondé sur un partenariat entre le politique et le religieux, qui coexistent selon les termes d’un pacte passé en 1744 dans lequel le politique, c’est-à-dire Mohammed Ben Saoud et plus tard la dynastie Saoud, s’engage à faire appliquer dans la société le message religieux de Mohammed Abdel Wahhab, qui prône une purification de l’islam par le retour aux sources. En retour, le religieux reconnaît une forme d’autonomie du politique en acceptant de légitimer ses décisions.
Ce pacte originel fonde un Etat « bicéphale », avec deux espaces qui sont relativement distincts. D’un côté, il y a une élite religieuse, les oulémas, formés dans les universités. Et de l’autre, l’autorité politique organisée depuis toujours autour de la famille Saoud.
Petit à petit, au XXe siècle, grâce à la manne pétrolière, le politique va accentuer sa tutelle sur le religieux, sans jamais rompre l’alliance de départ. Et aucune des deux têtes n’est complètement monolithique. On trouve différentes factions chez les princes. L’establishment religieux est relativement uni, mais cela n’a pas empêché l’apparition d’une dissidence. Donc plusieurs centres de pouvoir, plusieurs acteurs coexistent. Dans cette « sécularisation paradoxale », chacun fonctionne selon sa logique en cherchant à préserver ses intérêts.
Cela explique les paradoxes du royaume. Par exemple, la politique étrangère, en Arabie saoudite, fait partie du domaine autonome des princes, et les oulémas n’ont pas de droit de regard sur elle. Donc quand la famille royale saoudienne décide de faire alliance avec les Etats-Unis, ça ne pose aucun problème. La politique saoudienne est essentiellement guidée par des intérêts profanes.
Cette différence structurelle produit un système complexe où le religieux est bridé par le politique, qui, en retour, doit garantir les intérêts de l’autorité spirituelle. C’est la police religieuse qui veille à l’application du modèle wahhabite dans la société saoudienne. Et, puisque le wahhabisme est fondamentalement missionnaire, ça va se traduire dans les années 1960 par la création d’institutions religieuses qui veillent au rayonnement du wahhabisme à l’étranger. Le politique va mettre une partie de ses ressources financières grandissantes à la disposition de ces institutions.
Il existe cependant des réseaux de financement privés, para-étatiques ou complètement indépendants, qui pourront soutenir des acteurs qui ne sont pas officiellement soutenus par l’institution, qu’elle soit religieuse ou politique. L’Arabie saoudite n’est pas un Etat policier classique, tout n’y est pas sous contrôle. Ce n’est pas la Syrie ou l’Irak baassiste.
Il y a donc des négociations en permanence entre les princes et les oulémas ?
– Oui. Il y a par exemple un grand débat entre eux sur la codification de la charia. L’Arabie saoudite est le seul pays au monde où la loi n’est pas codifiée. Le droit saoudien, c’est la charia. Dans un tribunal saoudien, le juge a devant lui le Coran et la Sounna. Et il peut, s’il le veut, avoir recours à des traités de jurisprudence, essentiellement de l’école hanbalite, qui est l’école islamique la plus proche du wahhabisme. Or, depuis les années 1980, les princes réclament une codification de la charia que refusent les oulémas : si vous codifiez le droit, il devient un champ séparé du religieux, avec des manuels accessibles aux juristes sans formation religieuse, et les oulémas perdront leur mainmise sur la justice.
Comment la structuration du pouvoir a-t-elle évolué depuis l’arrivée du roi Salmane ?
– L’Arabie saoudite est un Etat qui remonte au milieu du XVIIIe siècle. Mais il a connu à la fin du XIXe une crise profonde qui a amené sa disparition pendant une trentaine d’années. Il a été reconstruit au début du XXe par Abdelaziz Ben Abderrahmane al-Saoud (Ibn Saoud). A sa mort en 1953, il va léguer l’Etat non pas à un de ses fils, mais à ses enfants de manière collégiale : pour prévenir toute division, Ibn Saoud a demandé à ses fils de gouverner ensemble. Ce n’est donc pas une monarchie absolue mais une monarchie dynastique. Le véritable organe de décision, c’est le conseil de famille. Le roi n’est qu’un premier entre ses pairs.
L’Etat lui-même se construit autour de cette fragmentation : on va donner à chacun un morceau d’Etat. Ce système est stable politiquement tant que le nombre de princes reste gérable. Mais Abdelaziz, mort en 1953, s’est marié à de nombreuses reprises. Il a cinquante fils qui arrivent à l’âge adulte. Ses descendants sont aujourd’hui une vingtaine de milliers.
Donc on ne peut plus conserver le même système. D’autant que certains princes sont plus puissants que d’autres, ce qui leur permet de mieux placer leurs enfants.
Lire plus sur: http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20160120.OBS3076/qui-dirige-vraiment-l-arabie-saoudite.html

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