Quand l’armée se rebiffe

Publié le par Samir Svet

Quand l’armée se rebiffe

JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD, JOURNALISTE, ÉCRIVAIN ET ESSAYISTE
Créé le 26/01/2016

Pour une fois, la « grande muette », c’est-à-dire l’armée française, est sortie spectaculairement de son silence. Par la voix de son chef d’état-major, le général Pierre de Villiers, et avec tout le respect qui s’impose, elle s’en est prise vigoureusement à l’exécutif dans une longue tribune publiée par Le Monde du 21 janvier. À ses yeux, les responsables de l’exécutif font pression sur l’armée en lui réclamant, à cor et à cri, des résultats rapides dans sa lutte contre Daech. Et cela, pour des raisons de politique intérieure. Comme le dit un haut gradé cité par Le Monde : « La stratégie française est à trois jours, totalement faite par la politique intérieure. »

Pour parler net, à l’approche des présidentielles, nos gouvernants comptent sur ces résultats rapides pour améliorer leur popularité en berne dans l’opinion. Or, il est toujours absurde de conduire une guerre – qui sera forcément difficile et longue –, en fonction d’impératifs électoraux à court terme. Il ne s’agit pas d’accabler telle ou telle majorité politique, en l’occurrence le pouvoir actuel. Ce serait injuste car, tout laisse penser que l’opposition aurait fait la même chose si elle était aux affaires. Nicolas Sarkozy n’était pas indifférent aux gains de politique intérieure quand il conduisit de façon brouillonne notre intervention en Libye, en 2011, avec les résultats que l’on sait.

Dans l’histoire militaire, en Europe comme ailleurs, l’instrumentalisation des soldats par les politiciens témoigne d’une ancienne et irréductible contradiction entre la logique stratégique et la logique électoraliste. Or, quand on demande aux soldats d’aller se faire trouer la peau pour atteindre un objectif, il ne faudrait pas mélanger les deux. Dans sa tribune, le chef d’état-major, conseiller militaire du gouvernement, rappelle que l’emploi de la force, parfois nécessaire (c’est le cas contre les djihadistes), exige un minimum de patience et s’accommode mal de ce qu’il appelle la « tyrannie de l’urgence ». Mais Pierre de Villiers va beaucoup plus loin. Il rompt clairement avec ces officiers bellicistes qu’on appelait jadis les « va-t-en-guerre ».

Si la force est nécessaire, explique-t-il, elle ne suffit jamais. Gagner une guerre ne veut pas dire qu’on gagne la paix. Pierre de Villiers va jusqu’à invoquer les impératifs éthiques qu’une armée civilisée ne saurait enfreindre sans perdre sa légitimité et même son âme. De façon délibérée ou pas, la charge de ce général nous renvoie aux incontinences verbales de Manuel Valls qui ironisait récemment sur « ceux qui invoquent les grandes valeurs en oubliant qu’on est en guerre ». Comme s’il s’agissait de faire la guerre n’importe comment, quitte à devenir aussi barbares que les djihadistes que l’on combat ! C’est ce risque que pointe le chef d’état-major quand il ajoute que, face au terrorisme, nous devons nous garder de tomber dans le mimétisme. L’emploi de ce vocable trahit un lecteur du grand philosophe René Girard, disparu le 4 novembre 2015.

C’est un peu le monde à l’envers ! Nos militaires deviennent quelquefois plus cultivés et plus réfléchis que nos politiques. Qui s’en plaindra ?

http://www.armee-media.com/2016/01/29/quand-larmee-se-rebiffe/

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